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En mai fais ce qu'il te plait...

  • sgcorpusculaires
  • 1 mai
  • 4 min de lecture

Dernière mise à jour : il y a 2 heures

... par exemple : tenir un journal de "La grande beauté" !


"Aucune immobilité n'existe sans le mouvement et aucun mouvement ne s'exprime pleinement sans l'immobilité "  Merce Cunningham
"Aucune immobilité n'existe sans le mouvement et aucun mouvement ne s'exprime pleinement sans l'immobilité " Merce Cunningham

Bonjour à toutes et à tous,


Il y a quelques années, avec un petit groupe de stagiaires nous sommes allés improviser dans les rues du quartier Sacré Cœur, non loin de la station de métro Jacques Cartier à Rennes. J'avais repéré au préalable quelques endroits qui se prêteraient à une exploration chorégraphique (ce bâtiment avec ses fenêtres au ras du sol m'intéressait particulièrement). Je ne me rappelle plus très bien quelles étaient les consignes de danse de cette journée mais peut-être quelque(s) chose(s) comme celles-là :


  • "danser dans un cadre, hors du cadre"

  • "danser cacher"

  • "comment la danse passe de l'invisible au visible et vice et versa"

  • "chercher sa danse et son bien-être dans l'inconfort"

  • "comment le corps se fait décor".


Je me souviens du plaisir que j'ai eu à animer cet atelier grâce notamment à la qualité des improvisations des participants, à leur manière de mettre en valeur, de transcender, les "beautés ordinaires" de la ville. Cette sensation de plaisir vint aussi de la curiosité, des sourires, voire des rires des personnes lambdas qui ont croisé inopinément ces corps dansants.


Danser dans l'espace public n'a rien d'évident. Au delà des émotions qui traversent les danseuses et les danseurs - et, au delà des possibilités d'exploration que ces expériences offrent - je me suis régulièrement questionner sur les enjeux d'une telle pratique. L'espace public par définition appartient à tout le monde et paradoxalement n'appartient à personne. C'est contestable, mais il me semble nécessaire de faire preuve de prudence, de prévenance : ne pas entrer par effraction dans la vie passante mais commencer par situer la danse dans des espaces vides, inhabités. Ainsi, par le jeu du hasard et du temps, permettre éventuellement à l'autre - s'il le souhaite - de "passer" à travers, de contourner, ou de contempler ces espaces "dansés".

"En mai fais ce qu'il te plait..." Et bien, ce qui me plairait, en mai, c'est de re-danser, et de re-proposer des expériences chorégraphiques en ville, en zones intermédiaires (parcs, friches urbaines, ...) et en milieu naturel.


La deuxième envie (une de celle qui nous titille depuis longtemps et que l'on remet régulièrement à plus tard) serait de commencer à tenir un journal de la "grande beauté" !


C'est le titre d'un film italien de Paolo Sorrentino La grande Bellezza qui m'en a donné l'idée lorsqu'il est sorti (en 2013). Je ne me souviens plus très bien du film mais son titre m'a saisi.

Qu'est ce que la grande beauté ? (Évidement) pour soi. L'idée serait donc de partager et de questionner à travers ce journal ce qui relève de cette "Grande Bellezza" (ça sonne mieux en italien, non ?).


Ce journal est en fait (en fête !) commencé depuis une vingtaine d'années. Il se développe dans une cinquantaine de cahiers d'écolier, de petits carnets, et sur nombre de feuilles volantes... mais pour l'instant peu de choses ont été partagées. Je ressens qu'il est temps de le faire (avec l'intuition un peu prétentieuse que cela pourrait émouvoir, intéresser quelques personnes).


Par exemple, récemment j'ai lu La vie passante* de Christian Bobin, et bien dans ce livre, il y a - il me semble - quelques passages qui relèvent de la grande beauté. Je vous cite un extrait qui parle notamment de danse (mais pas que) :


"Encore un nouveau jour

et le désir d'aller voir

dans ce jour

ce qu'il a de nouveau

Ce peut-être le goût amer d'un café noir

une page d'un livre un visage

ou simplement le pain au chocolat

à donner à l'enfant

avant son cours de danse


Vous aimez beaucoup la danse Nella

cela se voit rien qu'à vos mots

ils vont dessus la page comme

des chaussons de silence

Le grand écart entre la vie l'amour

entre chair et pensée

vous le faîtes à merveille

parlant d'un chat d'une peinture d'un songe

et revenant au bruit que fait l'argent

dans vos banlieues

l'argent des promoteurs des architectes

de ceux qui remuent des tonnes de terre

comme si la terre était à eux

Je connais un très beau texte

un testament de chef indien

Monsieur le président des États-Unis d'Amérique

Nous sommes au regret de refuser votre offre

nous ne pouvons vendre notre terre

car notre terre n'est pas à nous

pas plus que les étoiles dans le ciel

ou le vent sur les herbes

Les étoiles le vent la terre

ce sont notre mère

et vous comprendrez qu'un homme ne puisse

abandonner sa mère contre de l'argent

ni contre rien

Veuillez agréer monsieur le président

Ce texte a la grande beauté évidente

des refus

On ne refuse jamais assez de choses

dans sa vie

On se croit toujours obligé

d'aller quelque part de dire quelque chose

mais c'est à tort

il est bien préférable

de ne rien dire d'aller nulle part

de rester là

tout au bord de sa vie

et prenant soin d'être vu de personne

esquisser un pas de danse

ou deux."

Christian Bobin, La vie passante, Fata Morgana, 1990.


Écrit il y trente-cinq ans, son contenu poétique et sensible, sa résonance avec l'actualité me touchent profondément et en cela il relève peut-être d'une Grande Bellezza.


Bon 1er mai à toutes et à tous !

 
 
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