En mai fais ce qu'il te plait...
- sgcorpusculaires
- 1 mai
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Dernière mise à jour : il y a 2 heures
... par exemple : tenir un journal de "La grande beauté" !

Bonjour à toutes et à tous,
Il y a quelques années, avec un petit groupe de stagiaires nous sommes allés improviser dans les rues du quartier Sacré Cœur, non loin de la station de métro Jacques Cartier à Rennes. J'avais repéré au préalable quelques endroits qui se prêteraient à une exploration chorégraphique (ce bâtiment avec ses fenêtres au ras du sol m'intéressait particulièrement). Je ne me rappelle plus très bien quelles étaient les consignes de danse de cette journée mais peut-être quelque(s) chose(s) comme celles-là :
"danser dans un cadre, hors du cadre"
"danser cacher"
"comment la danse passe de l'invisible au visible et vice et versa"
"chercher sa danse et son bien-être dans l'inconfort"
"comment le corps se fait décor".
Je me souviens du plaisir que j'ai eu à animer cet atelier grâce notamment à la qualité des improvisations des participants, à leur manière de mettre en valeur, de transcender, les "beautés ordinaires" de la ville. Cette sensation de plaisir vint aussi de la curiosité, des sourires, voire des rires des personnes lambdas qui ont croisé inopinément ces corps dansants.
Danser dans l'espace public n'a rien d'évident. Au delà des émotions qui traversent les danseuses et les danseurs - et, au delà des possibilités d'exploration que ces expériences offrent - je me suis régulièrement questionner sur les enjeux d'une telle pratique. L'espace public par définition appartient à tout le monde et paradoxalement n'appartient à personne. C'est contestable, mais il me semble nécessaire de faire preuve de prudence, de prévenance : ne pas entrer par effraction dans la vie passante mais commencer par situer la danse dans des espaces vides, inhabités. Ainsi, par le jeu du hasard et du temps, permettre éventuellement à l'autre - s'il le souhaite - de "passer" à travers, de contourner, ou de contempler ces espaces "dansés".
"En mai fais ce qu'il te plait..." Et bien, ce qui me plairait, en mai, c'est de re-danser, et de re-proposer des expériences chorégraphiques en ville, en zones intermédiaires (parcs, friches urbaines, ...) et en milieu naturel.
La deuxième envie (une de celle qui nous titille depuis longtemps et que l'on remet régulièrement à plus tard) serait de commencer à tenir un journal de la "grande beauté" !
C'est le titre d'un film italien de Paolo Sorrentino La grande Bellezza qui m'en a donné l'idée lorsqu'il est sorti (en 2013). Je ne me souviens plus très bien du film mais son titre m'a saisi.
Qu'est ce que la grande beauté ? (Évidement) pour soi. L'idée serait donc de partager et de questionner à travers ce journal ce qui relève de cette "Grande Bellezza" (ça sonne mieux en italien, non ?).
Ce journal est en fait (en fête !) commencé depuis une vingtaine d'années. Il se développe dans une cinquantaine de cahiers d'écolier, de petits carnets, et sur nombre de feuilles volantes... mais pour l'instant peu de choses ont été partagées. Je ressens qu'il est temps de le faire (avec l'intuition un peu prétentieuse que cela pourrait émouvoir, intéresser quelques personnes).
Par exemple, récemment j'ai lu La vie passante* de Christian Bobin, et bien dans ce livre, il y a - il me semble - quelques passages qui relèvent de la grande beauté. Je vous cite un extrait qui parle notamment de danse (mais pas que) :
"Encore un nouveau jour
et le désir d'aller voir
dans ce jour
ce qu'il a de nouveau
Ce peut-être le goût amer d'un café noir
une page d'un livre un visage
ou simplement le pain au chocolat
à donner à l'enfant
avant son cours de danse
Vous aimez beaucoup la danse Nella
cela se voit rien qu'à vos mots
ils vont dessus la page comme
des chaussons de silence
Le grand écart entre la vie l'amour
entre chair et pensée
vous le faîtes à merveille
parlant d'un chat d'une peinture d'un songe
et revenant au bruit que fait l'argent
dans vos banlieues
l'argent des promoteurs des architectes
de ceux qui remuent des tonnes de terre
comme si la terre était à eux
Je connais un très beau texte
un testament de chef indien
Monsieur le président des États-Unis d'Amérique
Nous sommes au regret de refuser votre offre
nous ne pouvons vendre notre terre
car notre terre n'est pas à nous
pas plus que les étoiles dans le ciel
ou le vent sur les herbes
Les étoiles le vent la terre
ce sont notre mère
et vous comprendrez qu'un homme ne puisse
abandonner sa mère contre de l'argent
ni contre rien
Veuillez agréer monsieur le président
Ce texte a la grande beauté évidente
des refus
On ne refuse jamais assez de choses
dans sa vie
On se croit toujours obligé
d'aller quelque part de dire quelque chose
mais c'est à tort
il est bien préférable
de ne rien dire d'aller nulle part
de rester là
tout au bord de sa vie
et prenant soin d'être vu de personne
esquisser un pas de danse
ou deux."
Christian Bobin, La vie passante, Fata Morgana, 1990.
Écrit il y trente-cinq ans, son contenu poétique et sensible, sa résonance avec l'actualité me touchent profondément et en cela il relève peut-être d'une Grande Bellezza.
Bon 1er mai à toutes et à tous !